Don du Semantic Daniélou-36 au SMEMC’est en 1993 qu’Alain Daniélou décide de faire réaliser un instrument de musique électronique microtonal en intonation juste conforme à la théorie qu’il expose dans son ouvrage la « Sémantique musicale », dont la première édition remonte à 1967.

Daniélou quitte ce monde l’année suivante sans avoir vu l’aboutissement de ce projet qui lui était cher.

Baptisé Semantic Daniélou-36, en référence aux 36 intervalles par octave qu’il offre — une version simplifiée de l’échelle complète, qui en comporte 53 —, l’instrument voit le jour en 2005.

Depuis lors il est utilisé régulièrement ! La fondation commande un album au compositeur Igor Wakhévitch, « Ahata Anahata » (2006), produit une série de concerts avec l’Atelier d’Exploration Harmonique à l’Abbaye du Thoronet, Venise, Rome, et Paris (2007), organise des formations dispensées par Jacques Dudon, expert en microtonalités, et qui supervise par ailleurs l’ensemble des projets « Semantic », etc.

Une nouvelle version du Semantic Daniélou-36 est réalisée par Michel Geiss en 2013, à son initiative. Équipée d’un contrôleur à ruban, elle bénéficie notamment d’une palette sonore plus étendue et d’un accordage plus fin. En parallèle, la fondation confie à Christian Braut le développement d’un instrument virtuel, le Semantic Daniélou-53. Il sera lancé en 2018 lors d’une journée de présentation à l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), et sera également à l’honneur d’une « master class » organisée en partenariat avec l’Abbey Road Institute de Paris en 2022.

En 2025, une nouvelle étape et non des moindres est franchie pour le Semantic Daniélou-36, dont la fondation vient de faire don au SMEM (Swiss Museum and Centre for Electronic Music Instruments). Situé à Fribourg, en Suisse, ce musée recèle la collection d’instruments de musique électroniques la plus complète au monde. Mais ce n’est pas seulement un musée ! C’est également une « clinique » — le SMEM dispose d’un atelier de réparation où officient d’excellents techniciens de maintenance. C’est aussi… et surtout, un lieu conçu pour rendre les instruments accessibles aux musiciens ainsi qu’au public. Une « playroom » ouverte tous les samedis permet d’apprendre à utiliser certains de ces instruments, à en jouer, ainsi qu’à enregistrer. En outre, des conférences, ateliers et résidences d’artistes y sont organisés.

SMEM – Swiss Museum and Centre for Electronic Music Instruments
Passage du Cardinal 1
1700 Fribourg
Suisse

Le hasard n’existe pas

Mardi huit juillet deux-mille-vingt-cinq. Je débarque à Fribourg. Le temps de déposer mes bagages à l’hôtel et je rejoins le centre ville en quête d’un restaurant… que je ne trouverai pas. J’erre quartier de la cathédrale. Il est aux alentours de vingt-deux heures. J’accoste une dame qui me semble avoir dans les soixante quinze ans. Peut-être quatre-vingt. Elle tient une trotinette à la main. Je lui demande s’il est encore possible de dîner quelque part à cette heure tardive. Elle en doute. La cité fribourgeoise n’est pas bien animée le soir. Cela la désespère, d’ailleurs. Je lui explique que j’arrive de France et ne connais pas la ville. Curieuse, elle me questionne quant au but de mon séjour. Je le lui relate en deux mots : installer un instrument de musique au SMEM (Swiss Museum and Centre for Electronic Music Instruments). Elle m’interroge sur cet instrument. Je lui réponds qu’il s’agit d’un prototype microtonal réalisé à l’initiative de la Fondation Alain Daniélou, qui en fait don au musée. À peine ai-je prononcé le nom de Daniélou qu’elle s’exclame, des étoiles dans les yeux : « Daniélou, Alain Daniélou ? » Moi : « Oui pourquoi ? » Elle : « J’ai lu « Les quatre sens de la vie ». C’est un des ouvrages qui m’a le plus marqué. J’ai également lu « La fantaisie des dieux et l’aventure humaine ». » Puis pour en revenir à des considérations plus matérielles, elle ajoute que je dénicherai peut-être un endroit où me restaurer du côté de la gare. Elle s’y rend justement. Tout naturellement, nous faisons route ensemble et entamons une conversation animée. Je lui explique que ce fameux instrument, que j’ai co-conçu avec mon ami Michel Geiss et deux autres compères, avec le concours de Jacques Dudon, expert en microtonalités, est à 53 intervalles par octave, en intonation juste, conformément à la théorie développée par Alain Daniélou dans son traité de musicologie comparée, « La sémantique musicale ». Cela lui parle. Elle est musicienne m’apprend-elle — ex-chanteuse lyrique — et se nomme Karin Rosat. Nous aborderons divers sujets avec passion puis, arrivés à destination, nous nous quitterons, ravis l’un et l’autre, de ce moment suspendu. De retour à l’hôtel, je l’écouterai chanter du Haydn sur Deezer. Sa voix est magnifique. De retour à l’hôtel, je verrai dans cette rencontre comme un signe… qui donne, non pas quatre mais un sens à la vie. Un signe d’Alain Daniélou, heureux que cet instrument, qu’il n’aura pas eu la chance de voir finalisé de son vivant, mais auquel il tenait énormément, vienne prendre sa retraite dans ce magnifique musée. Le lendemain, l’accueil enthousiaste de toute l’équipe du SMEM et les projets que nous ébaucherons me confortera dans cette idée.

Christian Braut

Panoramas